Un prix de transfert peut constituer la contrepartie d’une prestation de services imposable

Le groupe Arcomet est spécialisé dans la location de grues. Pour les transactions intragroupe, le groupe applique une politique de prix de transfert conforme aux directives de l’OCDE, et plus spécifiquement la « Transactional Net Margin Method » (TNMM). Sur cette base, la société roumaine Arcomet Towercranes a dû verser une compensation à la société belge Arcomet Service NV pour les années 2011, 2012 et 2013. La marge bénéficiaire de la société roumaine ayant dépassé un certain pourcentage pour ces années, la société belge a envoyé des factures rectificatives afin de récupérer cet excédent. Cela s’inscrivait dans le cadre d’un accord conclu en janvier 2012, au travers duquel les deux parties s’engageaient à fournir un certain nombre de prestations à l’autre partie. La société belge doit assumer la plupart des responsabilités commerciales (telles que la stratégie et la planification, les négociations d’accords (cadres) avec des fournisseurs tiers, la négociation des termes et conditions des contrats de financement, l’ingénierie, les finances, la gestion du parc automobile au niveau central ainsi que la gestion de la qualité et de la sécurité) et supporte, en outre, les risques économiques liés à l’activité de la société roumaine. D’autre part, cette dernière s’engageait à acheter et à posséder tous les produits nécessaires à l’exercice de son activité et à être responsable de la vente et de la location de ces produits ainsi que de la prestation de services.

La société belge a émis des factures pour récupérer le bénéfice excédentaire, sans TVA. La société roumaine a déclaré la TVA roumaine due sur ces factures et l’a déduite concomitamment au titre d’achat de prestations de services intracommunautaires. L’administration fiscale roumaine refuse cette déduction au motif que la société roumaine n’a pas pu démontrer que des services avaient effectivement été reçus ou que ces services avaient été utilisés pour ses opérations imposables.

Le juge roumain saisi de ce litige souhaite dans un premier temps obtenir de la Cour européenne une réponse à la question de savoir si un prix de transfert au sein d’un groupe, calculé sur la base de la marge bénéficiaire d’une société opérationnelle, peut être considéré comme une contrepartie à un service soumis à la TVA.

Service à titre onéreux

La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle un service ne peut être soumis à la TVA que s’il est fourni à titre onéreux par un assujetti à la TVA (article 2, paragraphe 1, point c), de la directive TVA). Pour qu’un service puisse être qualifié de « à titre onéreux », il doit exister un lien direct entre le service fourni et une contrepartie effectivement reçue par l’assujetti à la TVA. Tel est le cas lorsqu’il existe entre le prestataire et le destinataire du service une relation juridique dans le cadre de laquelle des prestations sont échangées et où la rémunération perçue par le prestataire constitue la contrepartie effective d’un service individualisable fourni au bénéficiaire.

Il appartient à la juridiction roumaine de vérifier si tel est le cas, mais la Cour peut, sur la base des éléments du dossier, fournir à cette juridiction des indications utiles concernant le droit de l’Union.

Il est clair pour la Cour qu’il existe une relation juridique entre le prestataire et le preneur, dans le cadre de laquelle des prestations sont échangées. Les rémunérations perçues par l’entreprise belge constituent la contrepartie réelle des services qu’elle a fournis et qui ont procuré un avantage concret à l’entreprise roumaine, soit parce qu’ils ont eu une incidence sur la marge bénéficiaire de cette dernière grâce aux économies qu’elle a pu réaliser, soit parce qu’ils ont amélioré la qualité du service fourni aux clients finaux.

Le fait que la rémunération serve uniquement à ajuster la marge bénéficiaire de l’entreprise roumaine conformément aux lignes directrices de l’OCDE ne change rien à cette conclusion, selon la Cour. Pour apprécier si un service est fourni à titre onéreux, il convient de tenir compte de tous les éléments factuels et de la réalité économique et commerciale. Selon la Cour, un prix de transfert peut effectivement constituer la contrepartie réelle d’un service fourni.

La Cour réfute également l’argument selon lequel la rémunération serait incertaine, ce qui supprimerait le lien direct avec le service fourni. Le montant convenu (le prix de transfert) est certes variable et dépend du résultat de l’entreprise roumaine, mais il n’est ni volontaire ni arbitraire, ni difficile à quantifier ou incertain. Le calcul de la rémunération est fixé à l’avance dans le contrat selon des critères précis, de sorte que cette rémunération n’est pas incertaine en tant que telle. Cette situation n’est pas comparable à celle où un passant donne volontairement de l’argent à un musicien de rue (affaire Tolsma, C-16/93 du 03.03.1994) ou à celle d’un assujetti à la TVA qui remporte un prix en participant à une course hippique (affaire Bastova, C-432/15 du 10.11.2016).

Et le fait que l’entreprise belge doive verser une compensation à l’entreprise roumaine si cette dernière reste en dessous d’un certain pourcentage de marge bénéficiaire n’est pas pertinent selon la Cour. La Cour ne se prononce toutefois pas sur ce scenario, qui vise la situation inverse de celle de l’affaire.

Le droit à la déduction de la TVA

Si la TVA roumaine est effectivement due sur le montant payé à l’entreprise belge, l’entreprise roumaine peut-elle déduire cette TVA, même si les factures ne mentionnent pas la nature des services, le nombre d’heures prestées, le personnel et le matériel utilisés et la méthode de calcul des tarifs ?

La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle si l’administration fiscale dispose de toutes les informations nécessaires pour vérifier si les conditions matérielles d’exercice du droit à déduction de la TVA sont remplies, elle ne peut refuser le droit à déduction au seul motif qu’une facture ne satisfait pas à certaines conditions formelles prévues par la législation nationale. Pour que la condition matérielle soit remplie, il importe que le service pour lequel la déduction de la TVA est demandée ait été effectivement fourni et utilisé ultérieurement par l’acquéreur assujetti à la TVA pour ses propres opérations taxées. La question de savoir si ce service est nécessaire ou opportun pour l’acquéreur n’est pas pertinente.

Il appartient à l’entreprise roumaine de fournir les preuves nécessaires pour apprécier si elle a utilisé les services concernés à un stade ultérieur pour ses propres opérations taxées. Les preuves demandées par l’administration fiscale doivent être nécessaires et proportionnées pour apprécier si les conditions matérielles du droit à déduction sont remplies.

Dictum de la Cour

  1. L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, doit être interprété en ce sens que la rémunération de services intragroupe, fournis par une société mère à sa filiale et détaillés contractuellement, qui est calculée conformément à une méthode recommandée par les principes applicables en matière de prix de transfert, adoptés par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et correspond à la partie de la marge d’exploitation supérieure à 2,74 % réalisée par ladite filiale, constitue la contrepartie d’une prestation de services effectuée à titre onéreux relevant du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée.
  2. Les articles 168 et 178 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2010/45, doivent être interprétés en ce sens quils ne s’opposent pas à ce que l’administration fiscale exige d’un assujetti qui sollicite la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont la présentation d’autres documents que la facture pour prouver l’existence des services mentionnés sur cette facture et leur utilisation pour les besoins des opérations taxées de cet assujetti, pour autant que la production de ces preuves soit nécessaire et proportionnée à ces fins.

CJUE, C-726/23, Arcomet Towercranes,  4 septembre 2025

Opérations triangulaires simplifiées – mention “Autoliquidation” obligatoire

Le 8 décembre 2022, la CJUE rendait son jugement dans l’affaire Luxury Trust Automobil (C-247/21) duquel il ressort que l’intermédiaire B dans une opération triangulaire (dite ABC) doit renseigner la mention « Autoliquidation » afin de pouvoir bénéficier du régime de simplification visés aux articles 42 et 141 de la Directive TVA.

Dans cette affaire (qui, précisons-le, se passe avant le BREXIT), Luxury Trust Automobil, B dans l’opération ABC, est un assujetti autrichien qui acquiert des véhicules de luxe à A aux Royaume-Uni pour les revendre à C, assujetti identifié à la TVA en République Tchèque. Les véhicules sont transportés directement de A au Royaume-Uni à C en Tchéquie.

B utilise alors la simplification triangulaire et indique sur sa facture “opération triangulaire intracommunautaire exonérée de TVA”. Les autorités autrichiennes refusent toutefois l’application de ce régime dérogatoire au motif que la mention « autoliquidation » est manquante. Elles réclament par conséquent la TVA autrichienne à B sur base du dispositif de sécurité.

La CJUE va suivre la position du fisc autrichien et ainsi conditionner l’application de la simplification au fait que l’acquéreur soit valablement désigné comme étant le redevable par la mention « Autoliquidation » sur la facture émise par l’acquéreur intermédiaire. Elle s’appuie pour ce faire sur l’article 226, 11bis de la Directive TVA qui prévoit au titre de mention sur facture obligatoire, la référence « Autoliquidation » lorsque l’acquéreur est redevable de la TVA. La simplification consistant en une mesure dérogatoire facultative, permettant à l’ acquéreur intermédiaire d’éviter de devoir satisfaire à des obligations d’identification et de déclaration à l’étranger, elle ne peut s’appliquer sans le respect de cette formalité qui vise à garantir que le destinataire final ait connaissance de son obligation d’acquitter la TVA en tant que redevable.  

Dans son arrêt, la CJUE conclut par ailleurs que l’omission de la mention « Autoliquidation » ne peut faire l’objet d’une rectification ultérieure  par l’ajout d’une indication complémentaire.

Cette position est désormais suivie par l’administration belge également. Dans sa circulaire 2023/C/50 publiée en date du 04.05.2023 (ie. circulaire qui vient compléter / ajuster la circulaire 2020/C/50), elle y précise en effet que la mention « autoliquidation » devient une condition matérielle à l’application de la simplification triangulaire, sans qu’une correction ultérieure ne puisse être acceptée.

Il est par conséquent primordial pour les sociétés concernées d’adapter leurs mentions sur facture en conséquence.

Rappelons encore que l’application de cette mesure dérogatoire est par ailleurs sujette à d’autres conditions, dont l’application peut par ailleurs varier d’Etat membre à Etat membre. Il ne peut donc qu’être fortement recommandé d’en vérifier la correcte application au préalable.

Extension de la tolérance pour les entrepreneurs déplaçant des matériaux de construction d’un ou à destination d’un autre État membre

Lorsqu’un assujetti à la TVA transfère des biens d’un État membre à un autre pour les besoins de son entreprise, le transfert est, en principe, assimilé :

  • à une livraison intracommunautaire (exemptée) réalisée à titre onéreux dans l’État membre de départ ;
  • à une acquisition intracommunautaire (taxée) réalisée à titre onéreux dans l’Etat membre d’arrivée.

Ceci implique en principe l’obligation pour l’assujetti d’être identifié à la TVA tant dans l’Etat membre de de départ que d’arrivée du transport.  

1/ Transfert de matériaux d’un autre État membre vers la Belgique dans le cadre d’un travail immobilier en Belgique

En 2011, l’administration fiscale a décidé qu’un entrepreneur étranger qui apporte des matériaux de son stock d’un autre État membre pour les utiliser dans le cadre d’un travail immobilier en Belgique puisse être dispensé de devoir s’identifier à la TVA en Belgique pour l’acquisition intracommunautaire réputée (article 25quater § 1 du code de la TVA) qui a lieu en Belgique (article 25quinquies § 2 du code de la TVA). Il en va de même, par analogie, pour le transfert réalisé au départ de la Belgique si l’entrepreneur étranger est amené à renvoyer dans l’État membre d’où il a apporté les biens excédentaires qui n’ont pas été finalement incorporés dans l’ouvrage de construction (décision n° E.T. 119.687 du 15.03.2011, remplacée par la circulaire 2020/C/50 du 02.04.2020, n° 5.4.8.9). Cette tolérance n’est applicable que si les conditions suivantes sont remplies :

  • les opérations effectuées par le redevable de la TVA et réalisées en Belgique consistent uniquement des travaux immobiliers (services) auxquels s’applique le mécanisme d’autoliquidation prévu à l’article 51, § 2, alinéa 1, 5° du CTVA;
  • la destination des marchandises (chantier de construction en Belgique) est connue au début de leur expédition ou de leur transport (transfert) ;
  • les biens sont effectivement incorporés dans l’ouvrage de construction auquel ils étaient destinés et l’excédent éventuel des biens transférés est repris par le redevable de la TVA dans son État membre d’origine ;
  • les conditions de l’exonération de l’article 39bis, 1er alinéa, 4° du CTVA (à l’exception de son inclusion dans le relevé intracommunautaire) sont remplies pour le transfert, par le redevable de la TVA, des biens excédentaires précités qu’il ramène dans l’Etat membre d’origine ;
  • le redevable de la TVA pourrait déduire intégralement la TVA due sur l’acquisition intracommunautaire en Belgique ;
  • les autorités fiscales de l’État membre à partir duquel les matériaux sont transportés ou expédiés et vers lequel tout excédent est renvoyé ne s’opposent pas à cette tolérance.

Introduction du nouveau régime OSS 1er juillet 2021

Suite à l’introduction de la nouvelle réglementation OSS à partir du 1er juillet 2021, un assujetti étranger qui effectue un travail immobilier en Belgique pour un client non assujetti à la TVA et établi dans l’UE, n’est plus obligé de s’enregistrer à la TVA en Belgique pour cette opération. Jusqu’à cette date, le redevable de la TVA était tenu de déclarer la TVA belge sur ces travaux immobiliers dans une déclaration TVA périodique en Belgique. A partir du 1er juillet 2021, il peut toutefois opter pour déclarer et payer cette TVA belge par le biais du régime OSS dans son propre État membre.

Dans ce cas également, le redevable est néanmoins susceptible d’emporter des matériaux du son stock de son Etat membre vers la Belgique afin de les incorporer dans le cadre des travaux immobiliers qu’il réalise. La tolérance susmentionnée ne peut cependant s’appliquer car la condition selon laquelle le client est redevable de la TVA sur la prestation (art. 51, §2, 5° CTVA) n’est pas rencontrée. 

Par conséquent, les autorités fiscales acceptent désormais que le redevable de la TVA puisse également bénéficier de la tolérance susmentionnée dans ce cas. La première condition est remplacée par la condition selon laquelle le redevable de la TVA n’ait pas d’autre raison de s’enregistrer à la TVA en Belgique que l’acquisition intracommunautaire réputée suite au transfert des biens en Belgique. Les autres conditions restent inchangées.

Le redevable étranger de la TVA peut combiner les deux tolérances précitées s’il effectue à la fois des travaux sur des biens immeubles en Belgique auxquels l’autoliquidation de l’article 51, § 2, 5° du Code de la TVA est applicable et des travaux sur des biens immeubles sur lesquels il est redevable de la TVA belge mais qu’il déclare et paie dans son Etat membre via le régime OSS.

Les tolérances ne sont jamais obligatoires ; le redevable de la TVA peut toujours choisir de s’identifier à la TVA en Belgique pour les acquisitions intracommunautaires qu’il y réalise.

2/ Transfert de matériaux de la Belgique vers un autre État membre dans le cadre d’un travail immobilier dans cet État membre

La nouveauté réside dans le fait que l’administration fiscale introduit une tolérance lorsqu’un assujetti à la TVA établi en Belgique emporte des matériaux de Belgique vers un autre Etat membre afin de les incorporer dans un ouvrage de construction, et qu’il effectue cet ouvrage de construction pour un client non assujetti à la TVA et établi dans l’UE, dans la mesure où l’Etat membre en question ne perçoit pas la taxe sur l’acquisition intracommunautaire.